HOKA Chiang Mai Thailand 100 by UTMB®️ – L'Égoïsme qui transforme 🇹🇭
English version; click here
Quand on monte si haut en émotions, même après avoir foulé le sol durant des heures, difficile de redescendre les pieds sur terre. Nous avons eu besoin de temps—et nous ne sommes pas encore vraiment redescendus—pour absorber et exprimer toute cette dose de WOW.
HOKA Chiang Mai Thailand Elephant 100 by UTMB. 100 kilomètres. 5 000 mètres de dénivelé positif. Deux descentes monumentales de 1 200 mètres qui décident de tout. La beauté sauvage du nord thaïlandais. Les temples ancestraux. Les sourires généreux des bénévoles. L'émerveillement pur face à tant de splendeur.
Réaliser une course de 100 kilomètres est un acte profondément égoïste. On y consacre des tonnes d'heures d'entraînement, on fait tous ces choix, puis le jour J on court pour soi. Pour se dépasser, découvrir son fort intérieur, se donner une raison de vivre. Pur ego en mouvement.
Puis on reçoit les sourires des bénévoles. Les gens prennent soin de nous, les spectatrices et spectateurs nous acclament, notre entourage nous attend, nos proches nous suivent sur les réseaux. Tout est autour de nous. Franchir cette ligne d'arrivée reste un geste tourné vers soi... et même en sachant ça, on est émerveillé. On veut le refaire encore et encore.
Car dans cette quête égocentrique il y a cette réponse à la vie et au pourquoi que peu de choses nous offrent avec autant de franchise et de brutalité. La course te crie qui tu es en pleine face.
Et pourquoi se sentir bien dans cet égoïsme assumé? Parce que se connaître, s'apprivoiser, se défier, se battre, se relever—c'est ainsi qu'on devient la personne que l'on veut être pour l'autre.
Chaque fois que mes jambes me disaient non, et que je disais oui, j'apprenais la persévérance que je devais à mes projets. Chaque fois que mon mental voulait abandonner, et que je continuais, je comprenais la résilience que j'offrirais à ceux qui doutent. Chaque fois que la douleur criait et que j'écoutais mon corps sans céder à la panique, je développais cette patience et cette écoute que mon entourage mérite.
Dans ce trop-plein de moi-moi-moi, on se trouve, et alors seulement on peut vraiment être pour l'autre, exister pour autrui, cesser de juger, commencer à comprendre.
On devient une meilleure version de soi-même à chaque kilomètre. Cette épouse plus aimante, cet époux plus empathique, cette voisine plus sensible, ce voisin plus attentif. On reçoit, on donne. On se nourrit pour mieux nourrir les autres.
Il y a une richesse qu'aucun compte en banque ne peut mesurer : celle du temps qu'on choisit de vivre pleinement. Pas le temps qu'on accumule en attendant, mais celui qu'on habite maintenant, avec nos jambes qui courent encore, nos cœurs qui battent fort.
Un souffle. Un pas. Puis un autre.
Quand nous réalisons une course comme la Major UTMB de Chiang Mai, nous croisons sur le parcours des milliers d'âmes qui seront demain des humains transformés. Parce que c'est ça, le paradoxe magnifique de l'ultra : dans cet acte profondément égoïste, on découvre comment cesser d'être égoïste.
Un événement spectaculaire
HOKA Chiang Mai Thailand by UTMB n'est pas qu'une course. C'est une célébration de deux semaines, un festival de l'ultra qui transforme le nord de la Thaïlande en capitale mondiale du trail running. Dix courses différentes. Douze mille coureuses et coureurs venus du monde entier. Deux week-ends de pure magie : le premier au Parc National de Doi Inthanon , la plus haute montagne de Thaïlande, le deuxième au Parc Pao où nous attendait notre rendez-vous avec nous-mêmes.
L'organisation était d'une perfection rare—bien huilée, pensée dans ses moindres détails. Le village de course vibrait d'énergie, les vendeurs et vendeuses ambulants offraient mille saveurs, la musique festive créait cette atmosphère électrique. Le site d'arrivée spectaculaire, grandiose, invitait à célébrer ensemble. Sophie, la MC emblématique de Thaïlande, insufflait cette énergie qui fait qu'on se sent important peu importe son classement. Les bénévoles donnaient leur cœur avec des sourires qui n'avaient rien de professionnel—c'était de la générosité pure. Les villageois et villageoises nous encourageaient comme leur famille.
Et au centre de tout ça, un éléphant géant—symbole majestueux rappelant où nous étions, dans quel pays magique nous avions choisi de venir chercher nos limites.
Merci, Chiang Mai. Vous ne nous avez pas juste offert une course. Vous nous avez offert l'espace pour devenir meilleurs humains. Vous nous avez volé nos cœurs. On vous les a cédés.
Le temple
9h du matin, 5 décembre. Dans la cour d'un temple mythique, 1 500 âmes attendent. Nous avons dormi ici la veille, bercés par l'encens et les prières, comme si le sacré préparait nos corps à l'épreuve. L'aube s'est levée doucement sur les toits traditionnels, la brume matinale enveloppant encore les montagnes au loin.
Francis et moi échangeons un regard dans cette foule cosmopolite. Dans ce silence avant le départ, tout est dit. Nous sommes venus ici pour nous, et nous ne nous en excusons pas.
Sophie insuffle l'énergie finale. Sa voix résonne, trois langues se mêlent, l'atmosphère devient électrique. Autour de nous, des visages de partout—athlètes venus de Thaïlande, de Singapour, du Japon, d'Europe, d'Amérique. Douze mille personnes sur deux semaines, toutes venues chercher la même chose : se trouver en se perdant dans ces montagnes.
Le coup de feu déchire l'air. La jungle nous avale entiers.
Le privilège de tout donner
Francis: Au départ, j'ai pris une décision qui changerait tout : arrêter de calculer. Arrêter de protéger. Juste donner, sans mesurer le coût.
C'est ça, la vraie richesse—pouvoir se permettre de brûler sans compter. Pas besoin d'économiser mon énergie pour un futur hypothétique. Aujourd'hui, maintenant, je peux tout donner parce que je suis libre de le faire.
Les premières montées sont arrivées, brutales sous le soleil déjà chaud. Mon cœur grimpait avec l'altitude, et au lieu de reculer, je me suis penché dedans. J'ai accueilli la douleur comme une vieille amie revenue me rappeler que je suis vivant, que je choisis d'être ici.
Le parcours était d'une beauté sauvage—traversant villages du nord, longeant rizières en terrasses, grimpant à travers forêts épaisses vers des crêtes où les montagnes se déployaient à l'infini. L'enchaînement du dénivelé était parfait, pensé, chaque montée préparant la suivante, chaque descente offrant juste assez de répit avant la prochaine bataille.
Puis je me suis retrouvé à courir avec les femmes élites. Ces athlètes incroyables dont je suivais les exploits, dont je connaissais les noms. Et j'étais là, parmi elles, mon cœur battant plus fort qu'il n'a jamais battu.
Les larmes sont venues. Pas de douleur, mais d'émerveillement pur, de joie viscérale.
Je suis riche. Tellement riche de pouvoir vivre ce moment.
La chaleur de cette générosité
Elisabeth: La jungle thaïlandaise ne négocie pas. La chaleur arrive comme un mur solide, te rappelant que tu n'es qu'un corps parmi ces montagnes éternelles.
Mes jambes se sentaient fortes dans les premiers kilomètres, portées par l'énergie du départ, par la beauté du lever de soleil qui transformait la jungle en cathédrale de lumière. Le sentier avait été choisi avec soin—technique sans être dangereux, varié sans être répétitif, magnifique à chaque tournant.
Les bénévoles aux ravitaillements nous accueillaient avec des sourires qui n'avaient rien de professionnel—une bienveillance authentique offerte sans compter. "Strong! You strong!" m'a dit une bénévole, et dans ses yeux je voyais qu'elle le croyait vraiment.
Cette organisation impeccable, ces sourires généreux, cette patience infinie—tout ça pour que nous puissions poursuivre notre quête. Et dans ce paradoxe, quelque chose de profondément humain se révélait.
La première descente—L'intelligence du corps
Chiang Mai Elephant 100 se joue dans les descentes. La première arrive mi-parcours—1 200 mètres qui testent tout : les jambes, la technique, l'ego.
Francis: Mon corps parlait déjà après des heures sous la chaleur. J'aurais pu forcer, dévaler comme un fou, prouver quelque chose. L'envie était là—forte, insistante. "Montre-leur. Montre-toi." Mais quelque chose en moi a choisi autrement. J'ai écouté. Préservé. Dosé chaque appui, chaque virage. Ce n'était pas de la prudence—c'était de l'intelligence. L'expérience qui murmure : "Tu auras besoin de ces jambes plus tard." Les larmes sont “encore” venues—pas de douleur, mais de reconnaissance profonde. Pour ce privilège de pouvoir écouter mon corps, de comprendre ses signaux, d'être assez riche en temps pour vivre ce moment pleinement.
Elisabeth: Conversation intime entre peur et désir. Vouloir voler. Craindre la chute. Trouver cet équilibre fragile où le corps se lance sans se briser. J'apprenais quelque chose que je ramènerais dans ma vie—accepter le risque mesuré, faire confiance même quand l'esprit crie danger. Les paysages défilaient—villages accrochés aux flancs, vallées s'étirant à l'infini, montagnes ondulant jusqu'à l'horizon. Le coucher de soleil embrasait le ciel, transformant la souffrance en tableau vivant.
La nuit—quand la course renaît
Kilomètre 60. Ravito A13. Le drop bag nous attend comme une promesse—vêtements frais, provisions nouvelles, cette pause salvatrice qui marque la renaissance. La nuit tombe sur la jungle, et avec elle, une course différente commence.
Les frontales s'allument, transformant le sentier en constellation mouvante. La jungle s'anime autrement—bruits mystérieux dans les sous-bois, craquements, mouvements furtifs. On n'est plus seul avec ses pensées. La forêt nocturne parle, bouge, vit autour de nous.
Elisabeth: C'est ici que je rencontre Jean-Marc. Nos lampes se croisent, nos rythmes s'accordent. Nous parcourons des kilomètres ensemble, nos conversations devenant le carburant qui nous porte. Ce partage inattendu, cette énergie mutuelle—voilà ce que la nuit offre quand on accepte de ne pas courir seul.
On s'agglutine naturellement aux autres athlètes. Pas par faiblesse, mais par instinct—cette sagesse primitive qui sait qu'ensemble, dans l'obscurité, on trouve la force. Les groupes se forment, se défont, se reforment au gré des allures et des montées.
Et quelle montée. Celle qui précède la descente finale nous prend tout ce qui reste. Mais la nuit offre des compensations magiques: des panoramas qu'on ne verra qu'une fois, sous cette lune pleine qui transforme les montagnes en cathédrales d'argent. Le ciel scintille de mille étoiles. La chaleur du jour a cédé place à une douceur bienvenue.
Le bruit régulier des pas. Le souffle qui trouve son rythme. La frontale qui dessine le chemin.
Chaque pas devient méditation, chaque souffle une prière silencieuse.
La descente finale—donner ce qui reste
Kilomètre 80. La dernière grande descente. 1 200 mètres vers la ligne. C'est maintenant ou jamais.
Francis: Plus de préservation. Plus de calcul. Plus de "tu auras besoin de tes jambes". Les 5 000 mètres de dénivelé positif pèsent dans chaque muscle, mais je refuse de ralentir. Je donne tout—tout ce qui reste, tout ce que j'ai gardé, tout ce que je croyais ne plus avoir. Ma retraite, c'est maintenant. Pas dans vingt ans quand mes genoux ne tiendront plus—maintenant, pendant que je peux encore dévaler en sentant le vent sur mon visage, mon cœur explosant dans ma poitrine. Je me sens vivant—complètement, totalement, sans réserve.
Elisabeth: Mes jambes détruites. Chaque montée depuis le kilomètre 70 a été une bataille. Le doute s'est installé quelque part après le ravito A15 : "Tu ne finiras pas en courant. Pourquoi te faire souffrir comme ça?" La voix était persuasive, tentante même. Marcher serait tellement plus facile. Mais quelque chose en moi—têtu, stupide peut-être—refuse de finir autrement qu'en courant. Active. Déroule. Creuse. Je laisse mes jambes décider, arrête de penser, existe seulement dans le mouvement pur. Je rattrape des coureurs—chacun menant sa propre bataille, cherchant sa propre vérité. Et dans cette collection de quêtes individuelles, quelque chose de magnifiquement humain nous lie.
Puis l'arrivée surgit de l'obscurité—ce site spectaculaire illuminé comme un festival de lumières. Les couleurs d'ambiance dansent dans la nuit thaïlandaise. On franchit la ligne dans la noirceur, accueillis par cette célébration lumineuse qui ne s'arrête jamais. Presque là. Non—on y est.
L'arrivée
Et on reste. On s'installe sous les lumières scintillantes, on savoure ce moment où l'effort rencontre la beauté pure.
Le site d'arrivée de HOKA Chiang Mai by UTMB défie toute description. Des tribunes bondées où les spectatrices et spectateurs acclament chaque franchissement de ligne. La musique pulse dans l'air nocturne. Les bénévoles sourient toujours, infatigables après tant d'heures. Le village devient lieu de rencontre—pas question de partir sitôt franchi le fil, on s'attarde, on profite, on observe les autres arriver. Les étals de nourriture proposent une symphonie de saveurs, le repas post-course se transforme en banquet partagé, savouré collectivement.
La cérémonie réunit élites et amateur·es—ces athlètes dont on admire les exploits partagent le même podium, la même joie. Quelque chose de beau dans cette égalité : nous sommes toutes et tous des chercheur·ses, simplement à des vitesses différentes.
24e homme, 28e au général, 3e de catégorie. 12h27.
Ces chiffres? Insignifiants face à ce que j'ai découvert. Pouvoir lâcher le contrôle et faire confiance. Comprendre que me donner entièrement m'enseigne comment devenir meilleur mari, meilleur ami, meilleur humain.
52e femme, 275e au général, 5e groupe d'âge. 18h33.
Solide jusqu'au bout. Ce temps pris pour moi me renvoie transformée.
"J'ai appris des choses," Francis a dit.
"Moi aussi."
La transformation
Un vécu de course profondément vrai, d'une vivacité d'émotions que nul ne peut décrire, une histoire qui demeure à jamais comprise que par celle et celui qui la raconte et le sentier foulé. Ce sourire au final qui dit tout sans rien dire. Une histoire inscrite dans nos muscles, scellée entre nous et la montagne.
Pour Francis : la vraie richesse n'est pas dans l'accumulation mais dans la dépense totale. Quand il s'est permis de tout brûler sans réserve, son corps a répondu avec des capacités insoupçonnées.
Pour Elisabeth : prendre ce temps pour soi n'est pas du vol mais un investissement. Devenir meilleure pour les autres commence par se connaître soi-même.
Dans ces deux semaines, parmi ces 12 000 athlètes traversant Doi Inthanon et Pao Park, nous avons croisé des milliers d'âmes en quête. Chacune sortira de ces montagnes thaïlandaises un peu plus humaine, un peu plus capable de donner.
Parce que c'est ça, le paradoxe magnifique de l'ultra : dans cet acte profondément égoïste, on découvre comment cesser d'être égoïste.
Chiang Mai nous a volé notre cœur. On le lui a cédé, volontairement, joyeusement. Et déjà, nous savons que nous serons du prochain départ.
UltraNomades – We ®️U.N.